…Le voyage d’exploration d’un Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest…

…Le voyage d’exploration d’un Bourgeois

de la Compagnie du Nord-Ouest…

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…Voilà déjà quatre années que je suis devenu Associé hivernant* de la Compagnie du Nord-Ouest. Quatre années où les nombreux voyages en canot ont rythmé le cours de mon existence de traiteur*… Sachez que là-bas, dans le nord-ouest, la vie est la plus belle qui soit ! Le castor abonde et les Sauvages y sont très besogneux. Ah ! S’il n’y avait pas ces hivers interminables dans ces forts si inconfortables !…
C’est au début de mai que ma brigade de canots est partie vers le rendez-vous de Grand Portage. Cette fois je n’ai pas fait le voyage, mon commis* a eu pour mission de me représenter. Dans les premiers jours d’août, avant que ma brigade soit de retour, je partirai en canot allège* pour une mission d’exploration dans un territoire encore inconnu de notre Compagnie…

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Gabriel COTTÉ*, 1er août 1786…
Comme à l’habitude et pour chaque mission d’exploration, je décide avec Jean-Baptiste Larivière de la composition de l’équipage qui doit mener ce canot allège 27 miles plus bas. L’Avant*, Jean Larueil ; les Milieux, Joseph Lafeuillie, John Mac Suren, Pierre Tinsonnière ; le Gouvernail*, Jean-Baptiste Larivière.

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En ce 1er jour d’août, nous atteignons facilement cette partie de rivière encore inexplorée, les voyageurs* rythment leur effort en chantant. Le canot de 27 pieds file bon train, même Larueil chante à toute gorge signe que devant la pince*, tout est clair ! À cette vitesse, nous aurons parcouru la distance prévue avant le coucher du soleil.

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J’observe depuis quelques miles que la hauteur d’eau est bien maigre et que les gravières* sont de plus en plus nombreuses : « à peine ½ pied sous le canot, c’est trop peu pour nos pagaies », me dit le Gouvernail, « Il va falloir débarquer ». À son commandement et comme un seul homme, l’équipage saute du canot… ils seront de nouveau prêts à pagayer 20 pas en dessous de la gravière.

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Après avoir passé le grand coude, je distingue une étroiture*, le courant accélère et de gros embarras* obstruent à l’opposite* tout un côté du cours d’eau. Larueil est d’accord avec moi, il faudra portager*. Très rapidement l’équipage amène le canot à 5 pieds de la rive. Pendant tout le déchargement, 2 voyageurs tiennent les pinces* pour immobiliser le canot à flot, tandis que les autres déchargent délicatement les cassettes*, pièces* et ballots*. Je suis toujours admiratif de voir à quel point ces engagés* respectent leur outil de travail !

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Le soleil continue sa course folle vers l’horizon et Larueil n’a toujours pas repéré la batture* des outardes*, ce lieu bien connu des Sauvages où nous devons poser notre camp. Après la sortie du coude, nous touchons bientôt à notre futur lieu de repos. À l’arrêt du canot, Larueil me demande de débarquer. « Bon sang que cette batture est haute ! » J’avais toute confiance en Larueil, mais était-il vraiment à jeun de tafia* pour accomplir sa mission !

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Mes effets débarqués, il ne me reste plus qu’à attendre l’installation de ma tente par Mac Suren et Latinsonnière. Les autres sont également à la tâche puisque deux d’entre eux s’affairent à installer la toile sur le canot, tandis que le dernier se prépare à tourner le rubaboo*, car après avoir fait chaudière*, il y aura régale* !!

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Pour parfaire cette exploration, je demande à Larivière de m’accompagner vers la grève, car j’ai quelques inquiétudes sur la suite de notre voyage… De retour au camp et rassuré, je profite d’une belle lumière pour reporter mes observations de la journée.

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Après avoir versé une bonne régale à mes engagés, je suis convié, à l’invitation du Gouvernail, pour assister à la cérémonie du serment. Ce soir, Jean Larueil, mangeur de lard* deviendra Homme du Nord*… Nous arrivons au pied de la batture, Larivière se tient face à Larueil, une brassée de saules à la main, les autres voyageurs silencieux attendent les premières paroles de Larivière. « Jean Larueil, jure que tu ne laisseras jamais passer un mangeur de lard au-delà de cette limite s’il ne respecte pas les règles. » La réponse ne se fait pas attendre : « Je le jure !». « Jean Larueil, jure que tu n’embrasseras jamais l’épouse d’un homme du nord sans lui avoir demandé sa permission » et Larueil de répondre : « Je le jure !». Après avoir aspergé copieusement Larueil, Larivière scande d’une voix forte « Jean Larueil, tu es désormais Homme du Nord !»

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Au petit matin et au son de « Lève, lève tes Gens !!!» les engagés s’affairent déjà à ficeler leur charge. Tous s’attachent à accomplir au plus vite leur travail. Le portage de quelques dizaines de pas vers l’embarquement sera bien facile pour ces engagés habitués à bien plus long et bien plus dur…

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Le chargement du canot terminé, je m’installe sur ma cassette*, boussole et longue vue à portée de mains. « En avant !!» : l’ordre de Larivière est donné et aussitôt le canot quitte la batture* des outardes*…

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L’allure est bonne, déjà deux pipées* que les engagés avironnent sans rien avoir dans l’estomac, je suis également affamé c’est pourquoi je demande à Larivière de s’arrêter au bord de cette batture. Quelques biscuits suffiront à calmer notre faim.

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Nous voilà repartis, l’allure est de plus en plus rapide, aucun portage ni cordelle à demi-charge n’est à répertorier…Malheureusement, à la suite d’un resserrement du lit, nous nous engageons dans un bras qui s’avère complètement obstrué par un enchevêtrement d’embarras*. La réaction des deux bouts* est rapide, immédiatement le canot fait demi-tour et nous sommes maintenant face au courant pour rejoindre le cours majeur. Les Milieux avironnent à la vitesse d’au moins 40 coups minute ! Une demie-pipée et nous y sommes. Bon choix des deux bouts* !! L’autre solution, bien moins avantageuse, aurait été de portager à travers cette grande île.

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Maintenant le courant est avec nous et à l’avant Larueil nous informe que tout est clair. Encore quelques miles et nous seront au terme de ce deuxième jour d’exploration…

Gabriel COTTÉ, associé hivernant de la Compagnie du Nord-Ouest, le 2 août 1786.

Retrouvez l’intégralité du reportage photo ici

 

…Ce que disait Daniel HARMON à propos des Voyageurs Canadiens à la fin du 18ème…

… « Les voyageurs canadiens sont d’un caractère gai et versatile ; ils perdent rarement leur bonne humeur pendant longtemps, même dans les circonstances les plus difficiles. Même si leur seule ambition est de satisfaire leur goût pour la bonne chère et l’eau de vie, ils acceptent par nécessité de dures épreuves et privations, non seulement sans s’en plaindre mais avec gaieté et bonne humeur. Grands causeurs et d’une extrême étourderie, ils prennent de nombreuses résolutions qu’ils s’empressent d’oublier presque aussitôt. Ils ne pensent jamais au lendemain….Ils ne sont pas braves, mais lorsqu’ils n’y voient pas grand danger, ils se permettent souvent, comme ils disent, de jouer à l’homme. Ils sont d’une parfaite fourberie, d’une douceur et d’une politesse excessives…Ils sont incapables de garder un secret. Ils éprouvent rarement de la gratitude, bien qu’ils soient souvent généreux. Ils font des serviteurs obéissants, mais non fidèles. En les prenant par la vanité, qui est loin d’être mince, on peut les persuader de se lancer dans les entreprises les plus difficiles. »

 

…Et Washington Irving dans Astoria…

… « Travaillant avec patience, ne se laissant décourager ni par les obstacles, ni par les désappointements, fertiles en expédients et savants dans l’art de surmonter la force des courants, toujours alertes, toujours de bonne humeur, ils déployaient toute leur vigueur tant à bord que sur la rive, n’hésitant pas à plonger dans l’eau, quelque froide qu’elle fût ; et si jamais ils paraissaient se fatiguer ou se rebuter, une de leurs chansons populaires, chantée par un batelier vétéran et répétée en chœur par les autres, suffisait pour les ranimer ».

 

Lexique :

Associé hivernant : bourgeois passant l’hiver dans son poste de traite
Avant : pagayeur à l’avant du canot (bout)
Aviron : pagaie (idem au Canada)
Ballot : sac cousu emballant les fourrures
Batture : partie du rivage découverte à la période d’étiage
Berge écore : eau profonde au pied de la berge
Blé d’inde : maïs
Bourgeois : associé, actionnaire de la Compagnie
Bout : pagayeur à l’avant ou à l’arrière du canot
Bricole : sangle pour le portage des marchandises
Brigadier : chef d’une brigade de canots
Câble : cordage servant à hâler le canot
Cache : fosse abritant de la nourriture dissimulée dans la végétation
Canal : bras de rivière
Canot allège : canot léger, équivalent au canot express
Canot du Nord, Express : canot rapide de 24 à 28ft navigant dans le nord-ouest entre le Lac Supérieur et le Lac Athabaska
Capot : manteau
Cassette : caisse renfermant les effets personnels
Chantier : fort ou poste de traite
Chaudière : chaudron de cuivre
Chevaux de ficelle : raquettes à neige
Chico : branche dangereuse souvent visible entre deux eaux
Commis : second du Bourgeois
Compagnie de la Baie d’Hudson : Compagnie de traite créée en 1670, concurrente de la Compagnie du Nord Ouest jusqu’à la fusion en 1821
Compagnie du Nord Ouest : Compagnie de traite 1779-1821
Cordelle ou Cordeler : hâler le canot à l’aide d’un cordage
Cotté Gabriel : associé hivernant de la CNO, en 1785 il est à l’initiative du Beaver Club
Coureur de Bois : sous le régime français, il travaille souvent illégalement pour son propre compte
Couverte : couverture
Décharge : confluent
Dégrader : s’arrêter, se reposer
Engagé : voyageur sous contrat en général de 3 ou 5 ans
Embarras : accumulation d’arbres ou de branches coincés dans le lit de la rivière
Engraver : ensabler
Étroiture : passage étroit
Faire chaudière : manger le contenu du chaudron
Fourche : l’endroit où la rivière se divise en deux bras
Gage : salaire
Gage d’amour : petit sac tenu autour du cou où se trouvent la pipe et le tabac
Gommer : réparer une saignée dans l’écorce à l’aide d’un mélange de résine et graisse chauffée
Gorget : large collier métallique porté par les militaires qui servait à protéger des coups d’armes tranchantes
Gouvernail : pagayeur à l’arrière du canot (bout)
Gravière : banc de graviers à fleur d’eau
Guigne : malchance
Homme du Nord : voyageur navigant entre le Grand Portage et le Fort Chipewyan (3500kms), ils passent l’hiver au poste
Lagopède : perdrix variable
Les Petits : engagés de la Compagnie X-Y
Loge à suerie : tente à sudation
Mac Tavish Simon : actionnaire majoritaire de la CNO
Mangeur de Lard : voyageur navigant entre Montréal et le Grand Portage (1600kms), ils passent l’hiver à Montréal
Milieu : pagayeur placé au milieu du canot
Mille terrestre : 1 609 mètres
Missive : document, lettre
Norwester : employé de la Compagnie du Nord-Ouest
Opposite : opposé
Outarde : oie du Canada
Paqueton ou Sac à Tout Mettre : sac en toile contenant les effets du voyageur
Pas : 0,62 mètre
Patache : barque légère à 2 mâts
Pemmican : nourriture des hivernants composée de viande de bison séchée et de graisse
Pétun : tabac
Pétuner : fumer
Pichou : lynx
Pièce : caisse renfermant les marchandises de troc
Pied : 0,304 mètre
Pinces du canot : l’avant et l’arrière du canot
Pipée : équivaut à 1 à 2 heures de navigation, après chaque période les voyageurs s’accordent quelques minutes de repos et fument leur pipe
Portager : porter
Poste de traite : construction en général fortifiée en bord de rivière
Pouce : 2,54 cm
Poudrerie : neige poudreuse
Québec : étroiture
Rabaska : terme autochtone désignant un grand canot léger et rapide
Régale : tafia, c’est la récompense du Bourgeois à ses voyageurs
Rendez-vous de Grand Portage : rencontre annuelle entre les Mangeurs de Lard et les Hommes du Nord
Rubaboo : mélange de farine et de pemmican
Sagamité : bouillie de maïs
Sauvage : Amérindien
Tafia : rhum arrangé
Tadoussac : sein
Touer : hâler
Tournant d’eau : drossage
Traîne : traîneau
Traiteur : celui qui vit du commerce de la fourrure
Trappier : trappeur
Tributaire : affluent
Voyageur : engagé sous contrat auprès d’une compagnie de traite

 

 

 

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